La cathédrale et nous

II

C'est en poussant beaucoup de cris que dès le matin nous partîmes... Que n'attendions-nous pas d'une telle équipée ? À l'âge tendre où la vie ne vous a pas encore entamés, les émotions laissent des empreintes profondes... Nous pensions rapporter de la Cathédrale des âmes renouvelées.

Aussi bien, jusqu'ici la vie nous avait à tous épargné ses grandes joies comme ses grandes peines. Nous étions ces jeunes héros intacts dont quelque part parle Barrès... Chaque heurt atténue notre sensibilité... notre plus grand chagrin, c'est cette poupée que nous cassâmes lorsque nous avions quatre ans ; à six ans quand nous perdîmes notre balle déjà un petit coin de notre âme était endurci. Des enfants qu'aucun malheur n'a abîmés conservent toutes leurs possibilités de souffrir et de s'enthousiasmer.

Sur de telles âmes quelle devait être l'emprise d'une œuvre comme la Cathédrale !... Qu'étaient les livres qui jusqu'ici nous avaient soulevés à côté de ce grand livre vivant... mais j'anticipe... pour le moment nous roulons au travers de la Beauce.

Depuis une heure déjà ont décliné les dernières collines de l’Île de France, comme des ondes peu à peu elles se sont amorties dans la plaine. Devant nous, derrière nous, c''est l'Océan des blés demi murs que coupe, sillage bientôt refermé, la route nationale... Parfois un village dérive au long de l'horizon, seuls en dépassent le clocher et les plus hauts toits, tels ces vaisseaux dont par-delà les flots on ne voit que le gréement. Cette plaine évoque la mer, simplicité d'un paysage dédaigneux de tout agrément facile, proximité d'un horizon dont rien ne permet de mesurer la distance, et par-delà lequel rien ne fuit, ni fleuves ni chemins, seules quelques meules prématurées de ci, delà, ponctuent l'espace, comme sur la mer, une voile.